top of page
Louis Mauberret

l’espoir au cœur des luttes

 

 

 

               Cet article est dédié à tous les compagnons de combat de Louis Mauberret.

 

 

               « Si on me demande ce qui me caractérise, a répondu un jour Louis Mauberret à Christiane Rorato, je dirais : intelligent, peu, mais volontaire et têtu. Quand j’allais défendre quelque chose, j’ai jamais dit aux gars de reculer. » Cet autoportrait est révélateur d’une personnalité rude et sincère, aguerrie par le combat sans relâche pour une région et pour un idéal. Les lignes qui suivent, rythmées par des vers du poème de Louis Aragon « Enfer les Mines », ne sont qu’une approche subjective de la biographie de Louis Mauberret dont on trouvera un exposé très complet dans ses témoignages recueillis par Christiane Rorato.

 

 

                           « Rien n’est à eux, ni le travail ni la misère » (1906-1921)

 

               Louis Mauberret est né le 18 mai 1906, second d’une famille de quatre enfants, à St Bonnet en Champsaur (Hautes-Alpes). C’est en 1909 que les Mauberret s’installent à La Mure, où ils occupent d’abord un logement dans la Grand rue avant d’emménager rue du Château. Le père de Louis est mobilisé, blessé en 1915 puis réformé en 1917. Pendant cette période la famille mène une vie très difficile, faute de ressources. En 1918 le père revient et trouve un emploi de manœuvre-livreur. La même année, Louis obtient son certificat d’études primaires mais n’est pas proposé pour le collège contrairement à d’autres élèves d’une liste choisie parmi les familles aisées. Cependant il a assisté avec intérêt, en guise de cours du soir, aux conférences de la CGT dans la salle polyvalente du groupe scolaire des Capucins et il commence à se poser des questions sur le sens de la devise «  Liberté Egalité Fraternité ». Louis est ensuite placé pendant deux ans comme « garçon-vacher », puis fait le « botchia » (apprenti maçon) lors de la construction du pont de Roizon avant de devenir apprenti tonnelier chez un patron trop porté sur la boisson pour que ses parents le maintiennent longtemps à cette place.

 

                           « Où des joueurs de fer ont renversé leurs dés » (1921- 1936)

 

               En 1921, à quinze ans, Louis s’embauche à la mine. Il est d’abord porteur de caissons auprès des grilleuses (trieuses de charbon). Mais, après un incident avec un chef qu’il ridiculise, il est affecté au versage puis au fond de la mine, au roulage des berlines, section du Peychagnard commune de Susville. En1924, il adhère à la CGTU (syndicat d’obédience communiste né d’une scission avec la CGT après le Congrès de Tours de 1920). Après avoir effectué son service militaire (1927-1928), il adhère au Parti Communiste. Il devient secrétaire du syndicat en 1931, puis il est élu délégué mineur en 1935. Moqué au début, celui que l’on surnomme alors « le mâri » (le gamin, le petit attardé) fini par s’imposer en multipliant les prises de paroles et les interventions auprès des mineurs et des ingénieurs. Mais la crise économique est là ! Les jours chômés non payés passent de deux à trois par semaine et, en octobre 1935, la direction des Mines de La Mure décide de diminuer les salaires de 6 à 10%...

 

 

                           « La colère a le goût sauvage du charbon » (1936)

 

               D’après Louis Mauberret, l’opération de baisse des salaires est un test sur un petit bassin minier avant généralisation aux autres mines de France. La grève est votée à plus de 95%. C’est la première grève « sur le tas » (sur le lieu de travail) aux mines de La Mure. La lutte va durer du 14 janvier au 24 février 1936, dans une ambiance de solidarité exceptionnelle. Les télégrammes adressés au journal « La Dépêche Dauphinoise » soulignent le soutien des commerçants, des paysans et des ouvriers du Plateau Matheysin et de tout le département. Le 27 janvier, une foule de 7000 personnes défile dans La Mure, décrétée ville morte .Louis Mauberret fait partie de la délégation qui rencontre à Paris Camille Chautemps, ministre des Travaux Publics. Ayant obtenu des réductions de salaire limitées et un minimum de 23 jours de travail mensuel, les mineurs reprennent leur activité, ayant remporté une victoire sociale et morale. 1936, c’est aussi l’année du Front Populaire et des congés payés. Louis Mauberret, qui organise des colonies de vacances à Vallauris pour le Comité d’Entreprise, voit la mer pour la première fois mais il avoue préférer son          Senépi à l’époque des violettes. La même année, il participe aux congrès de réunification de la CGT : celui des mineurs à Albi, et celui de toute la confédération à Toulouse.

               « L’accordéon s’est tu dans le pays des mines » (1936-1945)

 

               De 1936 à 1939 Louis Mauberret continue à militer pour les mineurs mais aussi contre le fascisme et pour la paix. Il se présente aux élections cantonales à La Mure en 1937.

Le 24 août 1939, il distribue avec son camarade Rousset « le Travailleur Alpin », un journal communiste interdit. Il est arrêté le 29 août et condamné le 22 septembre à un mois de prison et 100 francs d’amende pour distribution de journaux « de nature à nuire à l’intérêt national ». A la prison St Joseph de Grenoble , il côtoie Saccarrotti, un cambrioleur anarchiste surnommé « l’Arsène Lupin des galetas » avec lequel il s’oppose violemment à un groupe de proxénètes. Au terme de sa peine, fin octobre 39, Louis Mauberret est incorporé au 2ème Régiment du Génie cantonné à Metz puis à Laval. Il participe à des opérations de minage des ponts de la Seine mais, en juin 40, il est fait prisonnier dans l’Orne en tentant de franchir les lignes allemandes. Passant du camp d’Ecouché à celui de Mulsanne, il est ensuite transféré en Allemagne au stalag 12 dans la région de Hambourg, puis sur l’île de Borkum en mer du Nord et enfin dans une mine de fer à Salzgitter au sud de Hanovre. Là, il organise le ravitaillement clandestin en « soupe de midi » d’un groupe de résistants déportés qui n’ont droit qu’à un maigre repas le soir. Libéré par les américains en 1945, Louis arrive à Grenoble où son frère lui apprend que son père est décédé l’année précédente. On lui avait caché la nouvelle pour ne pas le traumatiser.

 

 

                           « Noms de grisou, puits de fureur » (1945-1960)

 

               Après la Libération, le Conseil National de la Résistance institue par décret la nationalisation des mines de France. Le 4 octobre 1946, Louis Mauberret est élu président du Conseil d’Administration des Houillères du Dauphiné : il participe à la mise en place du statut de mineur, à la construction de nouveaux chantiers (le carreau de Susville) et de nouveaux logements (la cité des Bastions à La Mure). La même année il a dû faire face à la catastrophe de Prunières (16/01/46) où un dégagement instantané de gaz carbonique a provoqué la mort de huit mineurs. Le nouveau président des houillères soutient activement la CGT lors de la grève des mineurs de 1947 et de 1948 contre le changement d’organisation nationale des mines. Son sens de la concertation lui permet d’éviter un affrontement violent entre les mineurs et les forces de l’ordre à La Motte d’Aveillans. En 1948, Louis Mauberret est révoqué : il n’est plus président mais refuse toutes les offres de promotion et, à sa demande, redevient simple mineur de fond. En 1951, à Susville, il épouse Ginette Richard, son ancienne secrétaire, agent de liaison pendant la Résistance et fille d’Anselme Richard, résistant décédé dans le train qui l’emmenait en déportation. En 1956, Louis Mauberret prend sa retraite et devient permanent du syndicat des mineurs en tant que conseiller juridique. De 1959 à 1965 il est premier adjoint au maire de Susville.

 

                           « L’anthracite s’éteint aux pores de leur peau » (1960-1980)

 

               En 1962, c’est « la grève des cabas » contre la suppression du paiement de la pause casse-croûte, suivie en 1963 de celle contre les bas salaires et contre le décret de réquisition des mineurs imposé par De Gaulle. Deux victoires auxquelles Louis Mauberret a pris une part active. En 1965, il est élu au premier tour conseiller municipal à La Mure mais sa liste restera dans l’opposition. En 1967, il devient conseiller général et suppléant du député Louis Maisonnat. Dans ses nouvelles fonctions, Louis Mauberret s’élève avec force contre l’annonce de fermeture des mines de La Mure prévue pour 1975. En 1971, il est élu maire de La Mure mais, le 4 mai, il doit de nouveau faire face à un drame : un dégagement de gaz carbonique fait huit victimes au Devay (Prunières). Après le deuil, le travail municipal se met en place : construction de la piscine et du collège, défense des écoles et de la production de charbon. Grâce à la mobilisation des élus et de la population de la Matheysine, l’annulation de fermeture des mines est annoncée en 1973. En 1977, refusant de céder au jeu politicien, Louis Mauberret ne brigue pas un second mandat de maire. La gauche perd la mairie de La Mure mais, pour Louis, le combat continue.

 

                           « Te souviens-tu des yeux immenses » (1980-1997)

 

               La victoire de François Mitterrand en 1981 soulève un espoir qui sera de courte durée puisqu’en 1983 est annoncée la fermeture de toutes les mines de France non rentables. En 1984, Louis et ses deux enfants, Jean-Paul et Marc, ont la douleur de perdre Ginette.

               Dans les années 80-90, Louis Mauberret continue d’être un acteur et un observateur attentif de l’évolution des houillères, il est conseiller des salariés aux Prud’hommes et il s’insurge contre la fermeture des mines annoncée pour 1993. Avec soulagement, il apprend le 5/12/1992 la décision prise par Pierre Bérégovoy de reporter la fermeture, décision confirmée lors de la visite du premier Ministre sur le Plateau Matheysin le 17 février 1993. Hélas, le pacte charbonnier de 1994, signé par tous les syndicats sauf la CGT, scelle le sort des mines de France. Le 7 avril 1995, 8000 personnes, retrouvant les accents de 36, défilent dans les rues de La Mure pour refuser la fermeture de la mine et de la maternité. Louis Mauberret participe activement au comité de défense de la Matheysine qui se constitue alors. Sa voix, toujours révoltée, est écoutée par tous avec respect. Il constate avec satisfaction l’unité retrouvée d’une région, toutes tendances politiques confondues, en vue du combat décisif

pour l’avenir du plateau Matheysin.

​

  « Adieu disent-ils les mineurs dépossédés » (1997-2000)

 

               Le vendredi 28 mars 1997, Louis Mauberret assiste avec émotion à la dernière remontée des mineurs. C’est la fin d’une époque et d’une industrie pour laquelle il s’est battu pendant plus d’un demi siècle. Dans son domicile modeste en haut de la rue du Breuil à La Mure, il continue à aider tous ceux qui le lui demandent : le militant est toujours à pied d’œuvre ! Avec la complicité de Christiane Rorato, il rassemble ses souvenirs dans deux livres et un film, témoignages de la dignité d’une vie solidaire forgée dans les luttes.

               Le 30 août 2000, Louis Mauberret cesse le combat, laissant la Matheysine orpheline d’une grande et modeste figure : « Le Louis. »

 
 

 Eric Marchand

​

 

Bibliographie indicative

 

 

ARAGON (L.) Le crève cœur, Le nouveau crève cœur. Poésie Gallimard, 2000.

 

GARNIER (J.) Chronique des mines de La Mure. Chez l’auteur, 2001.

 

MAITRON (J.) Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Edition de l’atelier, 1997.

 

MAUBERRET (L.) Au devant de la vie 1936-1996, Section du PCF de La Mure, 1996.

 

MAUBERRET (L.) Debout dans ce siècle anthracite, Le Temps des Cerises, 1997.

 

MAUBERRET (L.) Debout dans ce siècle anthracite, 1956-1999, AUM éditions, 1999.

 

POITOU (J.C) Nous les mineurs, Fédération Nationale des travailleurs du sous-sol CGT,

1989.

 

Filmographie

 

RORATO (C.) Debout dans ce siècle anthracite, Agat-films, 1998 (copie 35 mm 2000).

bottom of page